

Lise FROGER
-Between the lines-
POINT(S) DE VUE
« Réflexions, notes et critiques... »
Critique de film
Avril 2018

" JE NE SUIS PAS UN HOMME FACILE "
film d'Eléonore Pourriat, Avril 2018
Le protagoniste, Damien, interprété par Vincent Elbaz, est l'archétype du séducteur macho qui collectionne les conquêtes. Alors qu'il siffle une fille dans la rue, le sort le frappe et il se retrouve propulsé dans une société où les rôles sont inversés... les femmes dominent les hommes, détiennent les postes à responsabilités, ont plus de libertés et de pouvoir que leurs conjoints, frères, pères, et fils, dont la vie se résume à élever les enfants.
Le trait est bien sûr un peu forcé, et les clichés soulignés. Sur les panneaux, les petits bonshommes deviennent des bonne-femmes, et les personnages célèbres de l'histoire ou de la culture populaire sont remplacés par des femmes. Ce qui est d'ailleurs déstabilisant au départ, dans cet inversement des rôles, est que le matriarcat rend les femmes sexistes... Ne vous attendez donc pas à trouver dans cette comédie une société qui rétablit l'égalité entre les sexes, ici le but de la réalisatrice semble bien de dénoncer la domination, les abus de pouvoir, le harcèlement, en les transférant sur l'autre sexe.
Les hommes en mini-short
La première chose qui m'a gênée est la façon dont la réalisatrice a choisi de "féminiser" les hommes du monde parallèle. Le meilleur ami de Damien, joué par Pierre Bénézit, incarne ainsi ce changement entre les deux sociétés : pour mieux marquer sa féminisation, son foulard devient fleuri, ses cheveux bien peignés, ses intonations de voix plus nuancées et chantantes. Et on se rend vite compte qu'il est loin d'être une exception, puisque tous les hommes sont représentés comme tels. Il faut alors accepter cette vision stéréotypée pour entrer dans le film, qui se montre plus subtil qu'il n'y paraît.
Le film accentue donc les clichés, (dans la mesure où toutes les femmes ne portent pas des vêtements vaporeux et fleuris, et ne parlent pas forcément de façon maniérée dans la vraie vie), en montrant ces dernières toujours en pantalon, laissant pousser leurs poils... Ce sont les hommes qui s'épilent intégralement, et portent des mini-shorts pour laisser leurs jambes apparentes, ce qui attise le désir des femmes, qui n'hésitent pas à siffler ou insulter les inconnus dans la rue, après les avoir reluqués...
Karma
C'est ainsi que tout au long du film, le personnage de Damien subit les injonctions de cette nouvelle société et la domination du sexe opposé. Une charismatique écrivaine, Alexandra, interprétée par Marie-Sophie Ferdane, le traite comme un homme aux mœurs légères (l'homme "facile" du titre). Malgré sa condition, ce dernier met du temps à comprendre la leçon, ne remettant absolument pas en question sa vision des femmes et le comportement qu'il avait dans sa vie antérieure. Il parle avec regret des femmes dont on voyait les jambes, les cuisses, le décolleté, celles qui portaient talons-aiguilles, balconnets et porte-jarretelles, mais ne semble jamais avoir le déclic de l'oppression ni du poids des injonctions. Alexandra, à la fois supérieure hiérarchique de Damien, amante influente, et boxeuse confirmée, prône la puissance des femmes, lorsque Damien raconte leur faiblesse historique (à regret ?)...
Lui : Chez moi, les hommes préhistoriques ont affamé les femmes et c'est ça qui a rendu leurs corps frêles pendant des millénaires.
Elle : Chez moi, c'est parce que les femmes étaient les plus fortes que la nature les a désignées pour porter les enfants, elles allaient chasser, été comme hiver, pendant que les hommes s'occupaient des enfants.
Lui : Chez moi, c'est les hommes qui se battent, qui s'affrontent, qui se font la guerre !
Elle : Et chez moi, le féminin l'emporte. Mais tu crois que tu es où là ?
Trop de stéréotypes ?
C'est en ce point que le film peut poser problème, dans la vision qu'il donne des deux sexes (puisqu'il n'est question que de l'homme, de la femme, mais à ma connaissance pas de transidentité). Montrer les femmes à la tête des entreprises et les hommes à la maison, qui pleurent devant des films d'amour, c'est risquer de laisser penser que la société d'aujourd'hui est donc l'exact opposé... ce qui est un peu réducteur.
Quelques séquences montrent pourtant les "minorités" opprimées, comme le mouvement des "masculistes" (et non masculinistes), qui se regroupent en association pour défendre leurs droits et dénoncer le matriarcat, à l'image des féministes de notre société. Bien que Damien les rejoignent, on peut avoir l'impression que sa démarche est hasardeuse ou du moins qu'il passe à côté du vrai combat : selon moi il n'est jamais clairement montré comme un homme qui souhaite l'égalité entre les genres/sexes. Or n'est ce pas précisément ce que les féministes souhaitent aujourd'hui ? Le risque du film pour un public qui ne s'intéresse que de loin à ces questions, est peut-être d'alimenter les amalgames et la vision des féministes "castratrices", qui souhaitent faire subir aux hommes ce qu'elles-mêmes ont subi.
Néanmoins, " Je ne suis pas un homme facile" amène à réfléchir sur la définition même des hommes et des femmes et sur les rôles que la société leur attribue. Est-ce le fait d'avoir un tempérament conquérant qui conduit à la quête de pouvoir et de domination ? Est ce que la douceur et la sensibilité sont les valeurs pré-requises pour s'occuper d'un enfant et d'un foyer, ou n'est ce pas la volonté de s'intéresser à ces questions qui change les traits de comportement et l'ouverture d'esprit ? ...
Ainsi je recommanderais plutôt ce film à des personnes qui s’interrogent déjà sur les questions des genres et des sexes, capables de remettre en question et déconstruire les schémas traditionnels. Lorsqu'on accepte la démarche (finalement plutôt cohérente) de la réalisatrice, c'est un film qui vaut le coup.