

Lise FROGER
-Between the lines-
LONGS FORMATS
« Mes articles long format, reportages, enquêtes... »
DES COCHONS ET DES HOMMES
- Les bottes dans la terre et les pieds sur terre -
Reportage
Février 2017
Si la ferme du C. abrite aujourd’hui un élevage de 1200 porcs, il n’en a pas toujours été ainsi. L’exploitation de 60 hectares a effectivement bien changé depuis la Révolution française, où elle appartenait déjà à la même famille. Transmise de générations en générations depuis lors, c’est désormais à Brieuc que revient cet héritage.
« La Bretagne ne serait pas si touristique sans l’agriculture » affirme B., jeune homme au regard rieur, en passe de devenir propriétaire de la ferme de ses parents. Seulement une quinzaine de kilomètres séparent Lannion et la commune dans laquelle se trouve leur exploitation, et c’est assez pour se sentir réellement à la campagne. Les champs environnant la ferme, bordés d’arbres fruitiers, la verdure à perte de vue, le silence parfois troublé par un lointain vrombissement de tracteur, donnent en effet l’impression que la ville est bien loin. On comprend que ce paysage rigoureusement entretenu par des paysans puisse attirer les vacanciers et les curieux.
À 26 ans, notre jeune Breton connaît déjà bien le métier d’agriculteur, qu’il a côtoyé de près toute son enfance et qu’il a appris au CFA de Pommerit en suivant un cursus agricole sur six ans. Perpétuer le travail de ses ancêtres est une évidence pour lui : « J’y vois une belle opportunité, explique-t-il, c’est plus facile de reprendre une ferme familiale que de partir de rien. Avec cette exploitation j’ai une base, que je n’ai plus qu’à entretenir, à modifier. »
Un métier trop peu valorisé
B. se montre optimiste et motivé à se lancer dans l’aventure, malgré la conjoncture peu favorable au milieu agricole. Entre la culture des champs, les soins à apporter aux 1200 cochons, sans compter tous les travaux d’extérieur et l’entretien de la ferme, mieux vaut avoir de l’énergie à revendre ! « Il faut savoir tout faire : agronome, informaticien, sage-femme, mécano, plombier, bûcheron..» fait remarquer B. en riant.
Alors que dehors le crachin tombe sans discontinuer, au chaud dans la vieille longère rustique qui sent le feu de bois, c’est le moment de la pause café. B. et sa mère se confient : « Cela représente des heures de travail que l’on ne compte pas, on est chez soi, on travaille pour soi, mais c’est dommage que le métier ne soit pas mieux valorisé...». En effet, la rentabilité de l’exploitation dépend des cotations, notamment du prix du kilo de viande. « On aurait moins à se justifier si on était rémunérés. Les gens ont parfois une image négative des paysans, toujours en colère malgré les subventions que leurs verse l’Etat. En réalité, si le kilo de viande passait à 1€50, ce serait déjà un changement énorme pour nous, on pourrait mieux vivre ». [ndlr : le prix moyen du kilo de porc charcutier en novembre 2016 est de 1,3 euros].
Après le café, chacun retourne à sa tâche, il est temps de préparer la “soupe” pour les cochons. C’est à ce moment que le père de B. entre dans la cour en tracteur : le crachin s’est transformé en pluie battante accompagnée de rafales de vent glacial. Ces conditions météorologiques l’ont obligé à interrompre les semis de blé plus tôt que prévu.
Sur le plancher...des porcs
Avant d’entrer dans le bâtiment où demeurent les cochons, il faut s’équiper de bottes réservées à la ferme pour éviter de ramener des microbes de l’extérieur dans l’élevage. «On pense toujours aux éventuels “contaminants”» précise la mère de B. Le bleu de travail, outre protéger les vêtements et conférer un certain look authentique, sert aussi à « isoler de l’odeur » comme l’explique B.
L’élevage est divisé en sept pôles de dix truies de race Naima, (ce qui signifie “la mère nourricière”). Un espace est consacré à la mise en quarantaine de porcs reproducteurs qui viennent d’autres exploitations. Les autres pôles abritent respectivement des truies en phase d’insémination, d’autres en gestation, et celles qui viennent de mettre bas. Toutes les 3 semaines, les bandes de femelles changent de pôle, en fonction des étapes de la reproduction, ce qui crée un roulement perpétuel.
Les truies sont réglées comme des horloges : chaque jour elles savent parfaitement quand il est l’heure de manger. Elles s’impatientent, grognent, donnent de petits coups de groin dans leurs barrières. Leur “soupe” est un mélange de céréales (cultivées maison) broyées puis mélangées à des minéraux et de l’eau. Le tout est versé dans un système de tuyauterie qui alimente toutes les auges de l’élevage. « La distribution est automatisée à partir d’un logiciel informatique, précise B., ainsi notre travail est facilité même si c’est toujours un peu stressant de vérifier que toutes les machines roulent ! ».
Les pieds sur terre, et l’esprit ouvert
B. et ses parents travaillent dans l’exploitation de 7h à 19h. « On essaie de se fixer une heure pour s’arrêter et on arrive à se libérer le weekend ». S’ils aiment leur métier, ils trouvent indispensable d’avoir quelques échappatoires. Le père de B. aime la chasse, sa mère adore la photographie, le jardinage et le cinéma. La passion de B., c’est la musique. « Nos vies ne se résument pas à la ferme, nous pouvons avoir une passion à côté ! » raconte le jeune agriculteur. À la fin de ses études à Pommerit en 2011, B. a passé 4 ans avec le bagad de Lann Bihoué à jouer de la caisse claire. C’est sa passion pour la musique qui lui a permis d’intégrer le bagad, grâce auquel il a beaucoup voyagé.
Depuis son retour, il se garde du temps libre pour jouer avec le bagad de Perros-Guirec. Ses amis, les gens qu’il fréquente le plus ont un rapport avec le milieu associatif et la musique, plus qu’avec l’agriculture. « Les personnes que je côtoyais, qui ont grandi à la campagne, je ne les connais plus. Si j’ai quelques copains qui viennent du milieu agricole, c’est qu’ils sont les plus ouverts » précise B.
La nuit tombée, alors que les truies ont terminé leur pitance, que les porcelets aux soies duveteuses ont eu la tétée, les lumières s’éteignent dans l’élevage. B. et ses parents rejoignent leurs quartiers, à leur tour de se restaurer. C’est d’ailleurs à ce moment de la journée que l’on peut avoir une pensée pour les agriculteurs. Comme le conclut B., faisant allusion à son rôle “nourricier” : « Une fois dans ta vie tu peux avoir besoin d’un notaire, une fois dans l’année d’un médecin… Mais l’agriculteur, tu en as besoin trois fois par jours tout au long de ta vie ! »
SCÈNE MUSICALE BRIOCHINE : CRÉPUSCULE OU RENAISSANCE ?
EnquÊte
Janvier 2017
C’est un samedi de décembre ordinaire, dans le centre-ville de Saint-Brieuc, le jour décline déjà : que faire alors en cette fin de journée quand on est un peu mélomane ? En apparence, pas l’ombre d’un concert.
Pourtant, non loin de là, dans le quartier Saint-Michel, des notes de guitare électrique s’envolent dans l’air, et viennent troubler l’habituelle tranquillité des ruelles cossues qui longent le cimetière. Rue Jobert de Lamballe, en empruntant un petit passage, on débouche sur une immense serre de maraîcher, qui abrite des légumes et… un concert ! Les musiciens du groupe briochin The Iving jouent devant une cinquantaine de paires d’oreilles conquises entre les plans de tomates et les pyramides artistiques de cucurbitacés. À l’entrée, les propriétaires du lieu proposent aux spectateurs et voisins avertis un verre de punch ou une assiette de salade en échange de leur contribution “au chapeau”. Dans un lieu si insolite et presque secret, l’événement a de quoi surprendre même les Briochins les plus au fait de la culture de leur ville. Ce concert est-il révélateur d’un besoin de parer l’ennui ou témoigne t-il simplement d’une envie de consommer la musique live autrement? Toujours est-il que le public d’initiés et de rares curieux étaient ravis d’encourager cette pratique émergente.
Une réputation peu flatteuse… et tenace
« Saint-Brieuc ? c’est un peu glauque, non ? », « Y’a rien à faire à Saint-Broc ! » ce genre de remarque, on l’entend régulièrement tant de la part des Briochins exilés que des visiteurs et autres pérégrins déçus. Il est vrai que la ville traverse quelques tumultes économiques, avec 18,9% de commerces vacants, qui contribuent à son dénigrement. La situation n’échappe pas à la hausse des prix de places de concerts et du coût de la vie en général, ce qui dissuade peut-être les habitants de sortir autant que par le passé. Selon A. M., photographe de concerts qui a sillonné la Bretagne, les choses ont bien évolué ces vingt dernières années: « Avant, le public avait en moyenne 35-40 ans, et les moyens financiers de payer des sorties concert. Fin 1990, la place coûtait 10 francs… La bière 1F50 ! Ça n’est pas aussi accessible pour le public d’aujourd’hui, de plus en plus jeune ».
Enfin, si la ville a si mauvaise réputation en terme de sorties, c’est peut-être une question de goûts ou de mal-information de ses habitants, « mais pas un problème d’offre » assure V. Barot, le directeur du service culturel de la ville. Faire preuve de panurgisme, ressasser qu’il ne se passe rien d’intéressant à Saint-Brieuc, « cela contribue au pessimisme ambiant ! » Un cercle vicieux donc...
« Elle n’est que sur la route »
Un certain défaitisme palpable participe d’un désintérêt grandissant à l’encontre de Saint-Brieuc. Sans cesse comparée à des villes plus grandes, on lui reproche son manque de dynamisme, de jeunesse. Après le bac en effet, les jeunes sont nombreux à quitter la ville pour leurs études (seulement 5700 étudiants à Saint-Brieuc en 2016). Les musiciens des groupes briochins se séparent alors ou rejoignent la scène d’une autre ville.
« Saint-Brieuc n’a pas trouvé son identité, elle voudrait prendre sa place aux côtés de Rennes ou Brest, mais pour l’instant elle n’est que sur la route, il faudrait que les gens aient envie de s’y arrêter ! » résume M. B., chargé de communication à la Citrouille.
Le groupe d'électro-pop Colorado qui jouait aux Transmusicales, illustre bien ce phénomène. Leur manageur, C. D., le justifie en ce que « la scène rennaise est beaucoup plus forte et reconnue à l’échelle nationale. Cela parle davantage aux pros comme au public d’être identifié Rennais plutôt que Briochin ».
Cette question de l’identité pose en effet problème. Alors que l’imaginaire collectif attribue à Saint-Brieuc des étiquettes telles que “repère du métal”, “fief des punks”, “berceau du rock”, les musiciens et férus de ces genres sont en réalité assez frustrés de ne trouver aucun réel lieu de “ralliement” dans la ville. Y. M., bassiste du groupe de métal Belenos, regrette qu’il n’existe « pas de vraie asso et pas de public assez nombreux localement pour que ça change ».
Des institutions actives
Dire que la ville sombre dans la décrépitude serait cependant mentir et reviendrait à omettre les démarches actives des institutions culturelles. La Passerelle est un atout majeur pour la ville puisqu’elle a le label de scène nationale. Elle programme à la fois théâtre, spectacles et concerts de classique ou de jazz. Trop souvent considérée comme élitiste, cette institution gagnerait pourtant à être mieux connue, notamment pour les soirées Mix du DJ briochin Julien Tiné, pour les Priz’unique, ou pour ses concerts sandwichs qui attirent chaque semaine 400 personnes.
Une autre valeur sûre : la Citrouille (scène de musiques actuelles) qui programme des concerts très éclectiques au moins un weekend sur deux et propose l’accès à des studios pour les musiciens qui souhaitent répéter ou s’enregistrer. Cette double fonction en fait un lieu bouillonnant de culture qui comptait 2032 adhérents la saison dernière, et 18 000 entrées totales aux spectacles.
Les élus de la ville de Saint-Brieuc prennent également part à la défense de la vie musicale. V. Barot du service culturel de la mairie assure vouloir donner une plus grande place à la musique dans la ville, notamment en dévoilant un projet pour 2018 : l’ouverture d’un « tiers-lieu de tous les possibles » dans la chapelle Lamennais, qui « donnerait la possibilité d’organiser des événements sans que cela soit un casse-tête ». Une initiative qui ferait revivre le centre-ville et réjouirait les musiciens.
Art Rock : fierté briochine
De manière plus occasionnelle mais pas moins engagée, le festival Art Rock contribue à redorer l’image de la ville de manière intense bien qu’éphémère. Pendant les trois jours du week-end de la Pentecôte, Saint-Broc change littéralement de visage, déborde d’euphorie, de musique et d’action et constitue pour cela le rendez-vous à ne pas manquer de tout Briochin qui se respecte. Avec 78 000 spectateurs en 2016, le festival gagne en puissance, autant grâce aux entrées payantes qu’au festival off, Artbist’rock. Ainsi l’an dernier, 70 artistes ont joué dans une vingtaine de bars de la ville. « C’est plus que le nombre de participants aux Bars en Trans à Rennes ! » se félicite J.-M. Boinet, directeur artistique du festival. Et malgré les subventions qui baissent, le festival tient la route, et on aimerait voir la ville sous ce jour plus souvent.
« Nous on ne cherche pas l’événement, on le crée ! »
Cette période de crise de la culture que nous traversons n’est pas spécifique à Saint-Brieuc, le désengagement de l’Etat est perceptible partout. On peut néanmoins y voir un mal pour un bien : le manque d’aide, d’encadrement, font naître des initiatives citoyennes, amènent de belles idées, de l’engagement. S’ils ne sont pas les plus visibles, les projets des habitants bourgeonnent cependant. C’est le cas de la Locomotive. Créée par quatre colocataires en octobre dernier, la “Loco” est un lieu où sont organisés « des concerts et d’autres événements culturels ».
En pullover rouge, les cheveux en bataille, G. ouvre la porte de cette imposante “coloc”, un matin pluvieux de décembre. La veille il a présenté une chorale de Noël « version punk » dans la rue, avec des copains, ce qui lui vaut d’avoir gardé quelques paillettes rebelles dans la barbe. Se qualifiant de “dédramatiseur public” le jeune homme de 34 ans ressent le besoin de s’activer. « J’estime que je me le dois. Je me dois d’être optimiste ! ».
Comme G., les Briochins optimistes et actifs sont plus nombreux qu’on ne le soupçonne. Les propriétaires de la Serre, en font partie, tout comme les membres de l’association Plan D, qui retapent la brasserie de la ville Berno pour en faire un lieu culturel et participatif.
Ces beaux projets viennent éclaircir le tableau musical de la ville. Il revient donc aux Briochins la responsabilité d’être curieux, de chercher plus loin pour découvrir les réseaux encore dans l’ombre d’une scène aux lueurs nouvelles.
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